Les quotas carbone sont-ils des droits à polluer ? Est-il morale de distribuer des droits à polluer la planète ?

, par Gilbert Fernandes

Aujourd’hui, pour les citoyens, comme pour les industriels, la pollution par CO2 est gratuite et illimitée. Chacun d’entre nous a le droit à polluer (émettre du CO2) autant qu’il veut, sans contrainte légale ni financière autre que l’achat du carburant (essence, diésel, gaz, charbon). Nous pourrions donc dire que “le droit à polluer est gratuit est illimité”. Cela peut surprendre, mais l’absence de toute contrainte légale, technique ou financière revient de facto à un “droit illimité et gratuit”.

Si l’on pousse le raisonnement (et l’aberration) un peu plus loin, nous pourrions dire que ce droit à polluer existe aussi dans d’autres secteurs (attention, je vais devenir un peu provoquant) : une compagnie pétrolière a le droit d’échouer un pétrolier sur une cote et faire une marée noire. Elle ne sera pas sanctionnée économiquement par une interdiction d’exercer ou une dissolution. Ses dirigeants (PDG ou actionnaires) n’iront même pas en prison. Il ne lui en coûtera qu’un bateau (loué d’ailleurs) et une amende modique (quelques Millions d’euros) sans commune mesure avec les dégâts environnementaux ni les bénéfices de la compagnie pétrolière (exemple Exon ou Total). Un citoyen a le droit de jeter tes ordures dans la nature, en échange d’une petite taxe (amende) s’il se fait prendre. Etc...

Le principe du quota (carbone ou autre) vise à limiter ce droit en le faisant payer encore plus cher si l’on vient à dépasser un seuil limite. Nous avons déjà ce principe de quotas dans plusieurs domaines de notre vie courante :
 la voiture : quotas de 12 points d’erreurs sur le non respect du code de la route. Si un conducteur dépasses son quota, il doit payer (un nouveau permis + attendre un certain temps avant de repasser le permis)
 le meurtre : quotas de 0 vie. Si un citoyen tue quelqu’un, il dépasse d’office son quota, et il doit payer (15 de prison en moyenne).
etc ...

Donc la mise en place de quotas carbone, n’est pas une mesure qui vise à permettre aux citoyens et aux industriels de polluer plus pour moins cher, mais une mesure de précaution qui vise à limiter la pollution de chacun.

Le principe de la taxe carbone vise un double but :
 pénaliser le vice en faisant payer les gros pollueurs (ceux qui dépassent leur quota)
 mais aussi récompenser la vertu en donnant une prime à ceux qui polluent peut (revente de leurs quotas non utilisés).

Ainsi celui qui veut “polluer beaucoup”, devra non seulement payer son carburant (ce qu’il fait aujourd’hui), mais en plus payer une surtaxe pour “acheter des quotas carbone” à d’autres personnes. Ainsi il se trouvera pénaliser financièrement. Ce qui est le bute de la manoeuvre. Et inversement, celui qui décide d’investir massivement pour utiliser des énergies renouvelables, et donc polluer moins, va pouvoir être récompensé (financièrement) par la revente de ses excédents de quotas carbone.

La perversion du système n’est pas dans l’usage des quotas, mais dans l’évolution qu’on leur fait subir : va-t-on augmenter les quotas en permettant à tous de “polluer plus” ? Ou va-t-on les réduire pour inciter tout le monde à polluer de moins en moins ? Ainsi l’augmentation du quota de meurtre par habitant (de 0 à 2 autorisés par exemple) serait ... criminel. De même la réduction du nombre de points dans le permis (réduction du quota) obligerait les conducteurs à faire encore plus attention (pour garder leur permis).

Aujourd’hui la pollution au CO2 n’est pas sanctionnée, pire, celui qui pollue beaucoup (parce qu’il ne veut pas utiliser d’énergies renouvelables ou investir dans de nouvelles machines plus économes) est même gagnant économiquement (moins de dépenses immédiates).
Les quotas de consommation énergétique répartis en part égale entre tous les habitants de la planète sont un moyen de nous faire partager équitablement les ressources naturelles de la planète (et ne pas avoir 20% de pays riches qui consommes 80% des ressources). C’est un moyen de limiter la pollution totale cumulée de toute la planète (et donc le réchauffement climatique).
Cela permettra également de pénaliser les pollueurs, qui devront payer pour racheter de quotas de "pollution" non utilisés, mais aussi de récompenser ceux qui polluent peut ou investissent pour polluer moins. Aujourd’hui l’Etat Français donne des primes pour aider à l’investissement dans des énergies propres ou des moyens de chauffage plus performant. Est-il normal que ce soit l’Etat, donc l’ensemble des contribuables qui aide à la "vertu", et donc qui paye ? Ne faudrait-il pas que ce soit plutôt les pollueurs ? Quelqu’un qui pollue peu (et a donc déjà fait des efforts) doit-il payer autant, que quelqu’un qui pollue beaucoup, pour que d’autres investissent et polluent moins ? Ne devrait-ce pas être uniquement les “pollueurs-payeurs” ? De même, le principe des aides actuelles est pervers, car une famille qui n’a pas de voiture, prend les transports en commun, et décide d’en acheter plusieurs (parents/enfants) et choisit astucieusement des modèles "écologiques" va recevoir une aide de l’Etat pour son investissement. Ils sont aidés pour pouvoir polluer plus avec leur voiture (label écolo) qu’ils ne le faisaient avec les transports en commun.

Enfin, l’usage planétaire des quotas carbone, va permettre de redistribuer massivement les richesses vers les pays pauvres, car si nous voulons continuer à consommer un peu comme aujourd’hui, il nous faudra acheter massivement des quotas carbone aux pays pauvres (qui de toute façon ne les utilisent pas aujourd’hui), et donc massivement leur envoyer de l’argent. Ce sera des sommes beaucoup plus importantes que ce que nos pays riches leurs donnent à ce jour, et en plus cela pourrait aller directement à la population, et pas aux chefs et dirigeants corrompus.

Une étude parue paru autour de 2003, indiquait que si le principe des quotas avait été appliqué sur toute la planète l’année précédente, toutes les entreprises très polluantes auraient fait faillite (impossible de racheter tous les quotas carbone), mais que les entreprises "propres" auraient fait de gros bénéfices. N’est-ce pas le bute recherché : pénaliser les pollueurs et rendre toutes les entreprises (et citoyens) "propre" ?
Et si chaque année ces quotas sont revus à la baisse (de 1 ou 2%), alors globalement nous pourrons voir une baisse des émissions mondiales de CO2 car le coût, pour les "pollueurs" ira en croissant.

Sources :
 Intervention d’Alain Lipietz lors des Semaines Sociale de France en 2007. Intervention 20 minutes après Alain Juppé (thème « De l’utopie aux choix politiques : le rôle des élus »)
 Voir les conférences de JM Jancovici, et particulièrement le dernier cours à l’école des mines sur « Le carbone possède son plan comptable : le Bilan Carbone »
 Faites votre bilan carbone avec l’Adem
 Un article dans l’Expension en 2005 sur le rôle centrale de l’Etat dans la définition des quotas
 Un article de 2006 dans l’Expension sur les débuts difficiles des quotas carbone en Europe

P.-S.

Le système des quotas est un outil pour aider à la réduction d’émission des gaz à effet de serre. Un outil comme il en existe d’autres, avec des avantages et des inconvénients. Nous pourrions dire qu’il s’agit de tickets de rationnement énergétique (comme durant la guerre pour la nourriture). Une fois en place il suffira de "réduire le nombre de ticket" pour voir la pollution diminuer.
Le quota carbone a au moins le mérite de pouvoir être juste et équitable entre tous les habitants de la planète pour peu que les quotas soient répartis par habitants (et pas par secteurs industriels). Son inconvénient, est qu’il est assez difficile à mettre en oeuvre sur la population