Pourra-t-on remplacer le pétrole (et le gaz) par d’autres énergies ? Aura-t-on le temps de déployer de nouvelles sources d’énergie aussi abondantes ?
Article issu de la conférence de Mr Bernard Rougeaux, conseillé de synthèse à EDF R&D, ayant effectué une étude sur les possibilités techniques de remplacer une énergie insuffisante (le pétrole), par d’autres énergie. Conférence donnée lors du colloque "Chrétiens et pic de pétrole"
Le livre de la conférence sort en librairie au tarif de 8 E. N’hésitez pas à contacter l’association.
Cet article est issu de cette conférence, il reprend une petit partie du texte (en italique) publiée dans l’ouvrage.
Afin d’étudier les possibilités techniques et quantitatives de substitution des énergies venant à manquer par d’autres énergies, B. Rougeaux a développé un modèle mathématique en tenant compte des ressources naturelles disponibles dans la nature. Il faut noter que toutes les solutions présentées ici sont connues et maitrisées techniquement par les industriels, ce n’est qu’une question de volonté (politique) et de prix (à accepter par le consommateur).
Pour mieux prendre en compte les contraintes du monde réel, un modèle ("Mescalito") a été développé par EDF R&D dans l’intention de simuler de manière plus réaliste les évolutions possible du monde énergétique. Contrairement aux modèles utilisés par l’AIE, le WEC, etc., ce modèle intègre les contraintes dues aux raretés énergétiques, les cinématiques des transitions et les contraintes industrielles. Ce modèles permet d’évaluer les effets réels des politiques couramment évoquées pour anticiper la fin du pétrole : le pétrole technologique, la liquéfaction du charbon, l’électrification des transports, et le développement volontariste de la seule énergie encore abondante et peu coûteuse qu’est le charbon. Il permet de constater si ces politiques apporteront une réelle solution.

Pour illustrer un scénario possible, nous testons avec ce modèle "Mescalito" les hypothèses suivantes :
– la croissance de la demande énergétique dans les pays émergeants est supposée n’être que de 1,1% par an et par habitant d’ici 2050 (taux bien inférieur à ce que nous observons aujourd’hui), puis de l’ordre de 0,5% (au-delà de 2050, il est délicat de faire des prévisions)
– La demande énergétique des pays de la zone OCDE et DEI baisse de 0,2% par an et par habitant, du fait de la mise en oeuvre de programmes d’efficacité énergétique
– Les réserves d’énergies fossiles supposées exploitables en 2008 sont estimées à 1,7 Tb de pétrole (soit 230 Gtep), 300 T m3 de gaz et 2000 Gtec de charbon. Ces montants sont bien supérieurs aux estimations actuelles des organismes officiels : le BRG indique en 2006 des réserves prouvées à la hauteur de 163 GTep pour le pétrole, 183 T m3 pour le gaz (y compris non conventionnel), et 726 Gtec pour le charbon. Nos estimations sont plus élevées car elles intègrent les possibles découvertes de nouveaux gisements, et surtout l’exploitation de ressources (notamment le charbon) considérées aujourd’hui comme non rentable, mais qui le deviendront avec la hausse des prix de l’énergie.
– Le nucléaire triple d’ici à 2050, ce qui est le maximum possible compatible avec les réserves estimées d’uranium, puis il poursuit sa croissance avec les réacteurs surgénérateurs de 4ème génération.
– La biomasse et l’hydraulique voient leur capacité doubler d’ici à 2030 (ce qui suppose un développement très volontariste !), et ne progressent ensuite que marginalement, le maximum exploitable étant quasiment atteint.
– Les nouvelles énergies renouvelables (éolien, solaire, énergies marines, ...) progressent de manière très volontariste, la puissance installée étant multipliée par 40 d’ici 2050 (pour produire 6 700 TWh). A terme, ces énergies renouvelables intermittentes sont supposées pouvoir fournir la moitié des besoins électriques mondiaux, ce qui suppose une refonte radicale des systèmes électriques, avec la mise en place de stockages de masse considérables, encore à inventer.
– Le charbon est le terme de bouclage pour combler le déficit énergétique : il est utilisé à la fois pour les besoins thermiques, électriques, et aussi liquides grâce à la liquéfaction du charbon (laquelle ne peut toutefois se développer que progressivement, en raison des contraintes industrielles).
– Les pétroles non conventionnels sont développés de manière très volontaristes avec les sables bitumineux, schistes bitumineux et agro-carburants (près de 25 Mb/j en 2050).
– Enfin, le transport est progressivement électrifié (8% dès 2030, 15 % en 2050 et 40% en 2100, alors que le pourcentage n’est actuellement que de 4%) : ceci suppose à la fois un transfert des transports routiers vers des transports ferroviaires, et la généralisation progressive de véhicules électrique ou hybrides rechargeables. Un part notable des transports de proximité est transférée vers des moyens "doux" (vélo, marche à pieds, ...).
Ces hypothèses supposent donc à la fois une croissance de la demande assez modérée par rapport aux souhaits des pays en développement, des réserves d’énergies fossiles assez hautes, et des politiques volontaristes (mais toutefois possibles) pour anticiper la fin du pétrole.

Pourtant, la simulation montre que malgré ces hypothèses plutôt optimistes, le monde manquera d’énergie liquide très prochainement, et que le pic toutes énergies dans le monde pourrait intervenir dès 2050, malgré la mise en place de politiques volontaristes sur les pétroles non conventionnels, sur le nucléaire et les énergies renouvelables ... et ce malgré 460 ans supposés de réserves de charbon !

Une autre simulation (ci-contre), avec des réserves légèrement plus faible ( 7,4 GtC pour le charbon contre 9 sur le premier graphique) donne un graphique similaire, mais un pic énergétique plus proche (entre 2040 et 2050)
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Enfin une dernière simulation plus faible en ressource (et plus proche de la réalité), donne les prévisions de ce qui devrait se passer (forte probabilité), compte tenu de l’inertie politique des gouvernements et entreprise. Le début du plateau énergétique serait situé en 2030 .

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En conclusion, si l’on tient compte de manière réaliste des contraintes industrielles et des prochaines raretés, il n’y a pas de vraie solution à la fin du pétrole susceptible de maintenir une croissance mondiale.
Nous devrons donc changer nos modes de vie.
Mais qui a encore de l’énergie ?
Dans la perspective d’une pénurie mondiale d’énergie, il est fort probable que chacun des états, chaque région dans le monde, décide de conserver pour elle-même ses ressources et cesse ses exportations. Dans ce cas, qui dispose encore d’énergie, et comment cette énergie se répartie par habitants ?
Ce petit graphique montre, par sous-continent, et grandes régions, combien chaque habitant consomme d’énergie (en moyenne), et combien il pourra en consommer dans 50 ans. Nous voyons que de tous les continents, c’est encore l’Europe qui a le plus à perdre, et donc, qui doit changer le plus vite !

Conclusion
Nous n’avons ni le temps ni les ressources naturelles nécessaire pour basculer la totalité de la consommation de l’énergie fossile (80% de la consommation mondiale) vers d’autres énergies (renouvelables ou non), tout en gardant notre niveau de consommation actuel (c’est à dire en le laissant croitre). Il nous faut donc impérativement, et rapidement, changer de mode de vie, et passer à une sobriété énergétique : la chasse au gaspie, et le régime !
De plus, face à la pénurie annoncée, il faut s’attendre à une envolée des prix de l’énergie (électricité, essence, gaz) car l’offre va aller en déclinant (et la demande, au mimimum, rester stable). Il faut donc se préparer et faire rapidement les investissements qui permettront de vivre correctement avec moin d’énergie (sans plomber le budget).